• TEXTE DE : http://christina-g-california.skyrock.com/

    Et oui, pour la première fois, je publie un texte qui n'est pas de moi, mais il m'a tellement touchée que je n'ai pas eu d'autre choix que de vous le faire partager. Bonne lecture ;)

                                                                                                    Immortal Passion                                                                                                  

             Nous avions dix-huit ans ; nous venions d'avoir notre bac, et nous chantions. Diplôme en poche, direction la fac, clamait-on ! Enfin : nous avions attendu cela depuis tellement longtemps. Ce soir-là, nous prîmes pleinement conscience que dans deux mois, nous accèderions à la liberté à laquelle nous avions toujours aspiré. Nous, adolescents, nous étions avides de rêves, et c'est en marchant sous les étoiles que nous inventions notre futur... Ce soir-là, dans notre tête, plus rien ne semblait exister : nous ne voulions plus penser qu'à la fête, qu'à ce moment de relâchement total. Nos années de lycée : à jamais révolues. Le bac ? Un souvenir ! Ce qui nous attendait : un avenir.

    Ce soir-là, Elle me noya dans le noir, et m'enlaça. J'étais si heureuse : Elle avait tant travaillé pour ce diplôme ! Je La serrai contre moi en souriant. Elle se recula légèrement. En moins de deux, nos lèvres étaient entrées en contact, et je vivais un moment de pur bonheur. 

    • • •

             L'eau a coulé sous les ponts. Pourtant, dix-sept ans après cette soirée, moi, Cécile Z., je partage toujours ma vie avec Aurélie T. Elle est mon âme sœur, ma vie, mon double ; elle me complète, me ressemble, elle fait de mon quotidien un conte de fée, et chaque regard que je lui adresse me rappelle cet amour fou qui me transcende encore après tant d'années. Elle est devenue professeur de maths, moi professeur de sport et, la chance nous souriant, c'est au même endroit que nous nous rendons chaque matin.

    Six heures trente, l'heure de mon lever. S'en suit la douche, la préparation du petit déjeuner, puis le doux réveil de ma princesse, que je martyrise alors à coup de baisers et de caresses... Sept heures trente, douche de ma princesse. Et moi j'attends religieusement, serviette à la main, j'ai si peur qu'elle prenne froid ! Huit heures, derniers rangements, car à huit heures dix, c'est l'heure de partir : un dernier baiser ; elle prend sa voiture, moi la mienne, et nous nous suivons de près jusqu'au troisième feu. Elle tourne, je file. J'arrive à huit heures vingt, elle à huit heures vingt-cinq... et nous nous embarquons pour une journée de plus. Nous nous frôlons... mais ne nous touchons jamais. Nous nous croisons, mais ne parlons jamais... Nous nous sourions, mais ne nous regardons jamais. La croiser au loin suffit à me rendre folle... mais je reste de marbre.  Ainsi se répète notre quotidien. Autant dire que depuis notre premier baiser, jamais nous ne sommes sorties du noir. Au début, cette vie infernale s'était imposée à nous comme une contrainte : la fac nous faisait peur, nos familles nous faisaient peur, notre amour nous faisait peur ; mais il était si fort qu'il était évident que jamais il ne s'arrêterait. A défaut de souffrir à l'infini, nous décidâmes de nous concentrer sur notre bonheur. Notre vie était peu banale, mais terriblement excitante : je ne comptais plus les jours où je tremblais dans le métro, à l'idée seule de retrouver celle qui faisait battre mon cœur... Et quand mes yeux tombaient sur les siens, nous laissions notre amour exploser. C'est ainsi que la contrainte se transforma très vite en un jeu : qui cèderait en premier ? Aujourd'hui, il n'est plus question de céder, évidemment. Cependant, le jeu continue. À trente ans passés, nous sommes toujours deux gamines perchées sur leur nuage... Concilier notre petit manège avec la véritable vie de couple n'a pas été facile, mais nous avons réussi. Un appartement, deux voitures, un chat... le bonheur à l'état pur. Et pourquoi pas...

             -          Mon amour, j'ai bien réfléchi, et j'ai quelque-chose d'important à te dire.

    Aurélie lève ses yeux noisette. Je lui prends la main.

             -          Je... J'aimerais qu'on ait un enfant.

    Après quelques secondes de surprise, Aurélie arbore un magnifique sourire et m'embrasse amoureusement. La question des enfants, cela faisait bien longtemps qu'elle nous travaillait. Je n'avais pourtant jamais donné mon aval. Sportive, me sentant encore pousser des ailes comme à mes dix-huit ans, j'avais toujours considéré les enfants comme une entrave à la vie volage. Mais à force de réfléchir, l'idée d'une mini-Aurélie me tenant la main a doucement envahi mes nuits, puis mes journées...

             -          Quand est-ce que tu as décidé ça ?, me demande-t-elle.
             -          Je ne sais pas trop. Ca ne date pas d'hier, mais je ne voulais pas t'en parler avant d'en être vraiment sûre.
             -          Tu sais que ça ne va pas être simple...
             -          Je sais bien, oui.*

    Je passe ma main dans ses cheveux foncés.
             -          Ecoute, me dit-elle après un silence, il faut surtout ne pas se précipiter, car il y a beaucoup de choses à mettre en place.

    J'hoche la tête, la laisse se nicher aux creux de mes bras, puis éteint la lumière. 

    • • • 

             Je regarde mon agenda : 4 septembre, premier rendez-vous chez le psychiatre. Après un long trajet vers la Belgique, nous nous garons sur le parking du centre hospitalier. Alors que je me penche vers la porte, une boule au ventre, Aurélie me prend les mains et capture mes lèvres dans un baiser.
             -          Mon amour, ça ira ?, me demande-t-elle avec des yeux inquiets.
             -          Oui, réponds-je sans grande conviction.
             -          Tu sais, si tu ne veux pas, il est toujours temps de faire demi-tour.
             -          Ce n'est pas ça. C'est juste que...

    Je baisse les yeux.
             -          Tu as peur de dire que nous sommes ensemble, c'est ça ?

    Je préfère ne pas répondre.
             -          Ne t'inquiète pas. Moi non plus, je ne suis pas rassurée. Dis-toi qu'il en a vu d'autres !

    Je souris. Décidément, Aurélie trouve toujours les mots pour me faire chavirer. Je l'embrasse une nouvelle fois, puis nous sortons de la voiture. Par réflexe, nous marchons à quelques mètres de distance, sans se dire un mot. Ce n'est qu'après quelques minutes que ma princesse se rapproche et me prend la main. Toujours muettes, je n'en reviens pas : je marche, en public, et mon amour est pendu à mon bras. Je ressens soudain une grande fierté ; je lève la tête et passe la porte du CHU le sourire aux lèvres.

    Dans la salle d'attente, je ne suis plus si fière. J'ai peur, terriblement peur. Je ne me sens pas à l'aise. Tant de gens qui passent autour... Je n'ose m'approcher d'Aurélie. Je tremble, j'ai envie de pleurer. Je me sens mal, je me sens presque pâlir... Une main se pose sur ma cuisse. Un bras m'entoure ; je me sens soudain blottie contre le corps que j'aime tant. Je cache mon nez dans son cou et l'enlace. Je ferme les yeux ; elle me murmure de douces paroles. Ne pouvant résister, j'approche mes lèvres des siennes et l'embrasse longuement. Le psychiatre nous appelle. Nous passons devant les regards attendris, puis la porte se referme. J'inspire profondément, puis m'assieds aux côtés d'Aurélie.
             -          Bonjour mesdemoiselles. Alors, que puis-je pour vous ?

    Je laisse Aurélie répondre.
             -          Nous souhaitons avoir un enfant.

    Le médecin hoche la tête. Alors qu'il prend nos coordonnées, une vague de confiance m'envahit soudainement. Je serre la main d'Aurélie dans la mienne et sourit.
             -          Je vais à présent vous poser quelques questions.

    J'écoute Aurélie répondre aux questions du médecin avec assurance, quand...
             -          Quant à vous, mademoiselle, vous êtes bien silencieuse. Comment appréhendez-vous l'arrivée d'un enfant ?
             -          J... Je suis très impatiente.

    Une flopée de questions s'en suit, questions auxquelles nous répondons en tandem, en ponctuant nos réponses de petits coups d'œil complices.
             -          Que comptez-vous dire à votre enfant lorsqu'il comprendra qu'il n'a pas de père ?
             -          Nous lui expliquerons ce qui s'est passé, nous essaierons de ne rien cacher. 
              -          Une question très importante : qui d'entre vous portera l'enfant ?

    Aurélie se tourne vers moi, attendant que je réponde.
             -          C'est elle.

    Elle me sourit.
             -          Pourquoi en avez-vous décidé ainsi ?
             -          Nous en avons beaucoup parlé, reprends-je, et il est vrai que porter un enfant serait trop dur pour moi. Je suis sportive... Mais il y a aussi une raison plus personnelle...
             -          Oui, enchaîne Aurélie. Intimement parlant, je suis très proche de Cécile. Je suis dépendante d'elle. Sans elle, je ne serais rien. Tout mon quotidien, c'est elle qui le construit. Elle me donne sans arrêt. Elle m'est totalement dévouée... Si je porte cet enfant, ce sera le moyen de lui prouver que je tiens à elle plus encore qu'elle ne l'imagine, de pouvoir, enfin, lui donner quelque chose qui vient de moi.

    Je suis si touchée que le psychiatre a l'air satisfait. Il nous remercie, et nous repartons. Dans la voiture, j'ai envie de sauter de joie. 

    • • • 

    2 juillet.

    Je ne sais par quel prodige tout s'est passé si vite. J'ai l'impression qu'hier encore, j'étais dans la voiture à trembloter... aujourd'hui, je suis assise dans le couloir, et je pense à l'immense bonheur que nous allons connaître enfin. Je repense à tout ce qu'a traversé Aurélie pour moi – les hormones, les médicaments, le prélèvement, l'attente... Dans quelques heures, le calvaire sera fini, et Aurélie sera enfin soulagée. J'angoisse... Toute ma vie défile derrière mes paupières : je revois mes premiers amis, mes premiers amoureux, et je refais ma vie avec des si. Et si mes parents n'avaient jamais déménagé ? Je n'aurais jamais connu les Yvelines. Et si nous n'avions pu trouver un logement ici ? Je n'aurais jamais connu mon collège. Et si j'avais été dans un lycée différent ? Je n'aurais jamais rencontré Aurélie... et je n'aurais jamais eu cette vie heureuse. Pour la première fois de ma vie, je prends réellement conscience de ma chance. Mon cœur bat plus vite... La chaleur me monte aux joues... Il est bientôt l'heure qu'Aurélie sorte ; j'entremêle mes doigts dans le galon de ma capuche. 
     

    • • •

    4 Septembre.

    Deux mois ont passé. Je descends de la voiture et lui ouvre la porte. Je ne ressemble à rien : il est cinq heures du matin, j'ai les cheveux emmêlés, et je porte le vieux pull qu'elle porte quand elle est triste. Il me descend sous les fesses, c'est ridicule. Mais je m'en fiche. Je suis enveloppée du doux parfum de ma princesse ; cela me rappelle nos câlins... La voilà justement qui me prend dans ses bras. Je fourre mon nez dans son cou. Nous restons quelques secondes ainsi. Je relève la tête et l'embrasse doucement. Elle aussi a les cheveux emmêlés. Elle aussi porte un gros pull et un jogging. Pourtant, ce qu'elle est belle...
             -          Je t'aime..., me murmure-t-elle à l'oreille.

    Je souris, lui prends la main ; nous entrons au CHU.
             -          Mademoiselle, dit le médecin, je vous confirme que tout va bien. Si tout se passe comme prévu, le bébé sera là en Mars !

    Un rendez-vous prescrit, des mots d'encouragement, une poignée de main... et nous voilà reparties. Cette fois, c'est Aurélie qui prend le volant. Alors que je m'endors doucement dans son parfum, je souris. Nous allons avoir un bébé !

    Il est neuf heures trente quand ma belle me réveille : je suis allongée sur le canapé de la maison, toujours enveloppée dans son pull. Ses lèvres se posent sur mon front, puis sur les miennes. Je souris, puis me lève. Demain, c'est la rentrée : il y a tant de choses à préparer ! 

    • • •

    Les mois passent. Aurélie est si épanouie. Discrètement, je l'observe de loin au travail, et lui envoie des petits clins d'œil. Plus son ventre grossit, plus nos collègues s'attroupent autour d'elle, et plus il m'est difficile de me retenir de m'exclamer : « et cette merveille, c'est à moi qu'elle la donnera ! » Elle sait combien j'ai du mal à contenir ma joie, et lorsqu'elle voit mon regard, elle sourit. J'ai soudain l'impression que nous avons de nouveau dix-huit ans, à nous envoyer des petits bisous cachés, des petits regards... Je l'aime tant ! 

    • • •

    Décembre : les fêtes approchent. Les fêtes, c'est partir en famille... Les fêtes, c'est, depuis toujours, être loin d'Aurélie : elle reste chez nous et invite ses parents, et moi je pars chez les miens pendant deux semaines.  Je l'appelle tous les soirs, néanmoins l'attente est rude...

    31 décembre : mes parents rient.
             -          Quand est-ce que tu vas te trouver un homme ?, me demande ma mère.
             -          J'ai le temps, tu sais...
             -          Tu as trente ans passés. Tu finiras vieille fille à être si sélective !

    Je ris avec eux en pensant à ma princesse. L'ambiance est telle que j'en oublie même mes peines de cœur.

    Soudain, je reçois un appel d'Aurélie. Il est deux heures trente du matin ; je panique : je bondis de mon siège et me précipite au dehors.
             -          Mon amour !, s'écrie-t-elle sans me laisser le temps de réagir. J'ai besoin que tu reviennes : ça ne va pas...

    Une onde de choc me bouleverse : ni une ni deux, je prends mes affaires, mes clefs, et saute dans ma voiture. Sans comprendre, je vois la silhouette de ma mère descendre à toutes jambes... mais trop tard : je suis déjà partie. Mon amour, j'arrive. Lorsque je franchis la porte, je trouve Aurélie en larmes, allongée sur le canapé. Je jette mes affaires et m'accroupis à ses côtés. J'embrasse son front. Elle respire vite. Je caresse calmement ses joues ; intérieurement, j'ai envie de hurler. Que se passe-t-il ?! Ne tenant plus, sans dire un mot, je l'aide à se lever et reprends la voiture. Je l'allonge sur le siège arrière et fonce à l'hôpital.
             -          Elle va accoucher !, m'écriai-je en entrant dans le hall.

    Les médecins s'attroupent, je me vois habillée des pieds à la tête par une sage-femme qui m'accompagne dans une salle aseptisée. Je ne rejoins Aurélie que quelques minutes plus tard : je plonge sur elle.
             -          Laissez-lui de l'air, s'il vous plait.

    Je m'écarte, pose une main dans ses cheveux et prends la sienne.
             -          Si tu as mal, lui chuchote-je, serre ma main.

    A peine prononcé-je le dernier mot que ma princesse serre de toutes ses forces. J'ai l'impression que mes os se broient ; j'ai peur, je panique, je pleure...

    Aurélie crie ; mes sanglots coulent de plus belle. Les minutes tournent, je caresse le visage de ma princesse qui me regarde désespérément. Elle est si pâle, si fragile... Des cris, toujours des cris, et mon amour qui se cambre de douleur, je n'en peux plus, je veux sortir, mon estomac se noue, mes yeux se brouillent, mes oreilles sifflent... Soudain, un second hurlement s'élève. Aurélie desserre sa main, je m'effondre à genoux.
             -          Félicitations, c'est un petit garçon.

    La sage-femme pose le bébé sur sa poitrine... mes pleurs ne peuvent plus s'arrêter. Aurélie pleure aussi ; elle n'ose pas le toucher. Je prends sa main, la serre fort, et la pose sur le nouveau-né. Je soupire de bonheur et l'embrasse passionnément.

    Le verdict tombe très vite : notre petit ange devra rester en couveuse jusqu'à ce qu'il soit bien développé. Aurélie doit rester à l'hôpital pour veiller sur lui... et ce que cela implique me frappe grièvement : je n'ai pas le droit de rester. Je n'ai pas le droit. Je ne peux pas. J'embrasse Aurélie une dernière fois : je rêve du baiser interminable. Ainsi liée à elle, je ne veux pas partir... Mon cœur est comme déchiré ; je retiens mes larmes... Je sors de l'hôpital sans me retourner. 

    • • •

    7 janvier : la rentrée.
             -          Mme T. a-t-elle eu un problème ?
             -          Elle a accouché.
             -          Comment va-t-elle ?
             -          Elle va bien.

    Chaque réponse me foudroie. Pourtant, je me dois de sourire. Pour elle.

    Les soirs, je me précipite à l'hôpital pour voir mes deux petits anges. C'est dingue ce qu'il ressemble à ma princesse... 

    • • • 

    Une semaine plus tard, Aurélie refait son apparition. Sans prévenir, un bouquet de roses à la main, elle ouvre la porte et me saute au cou. Je l'assaille de baisers et la serre contre moi. Ca y est : ma raison de vivre est revenue. Nous adoptons alors une routine différente. Tous les soirs, nous nous retrouvons à l'hôpital, et nous contemplons notre petit bout de chou gazouiller dans son sommeil.

    Plus les jours avancent, et plus quitter Aurélie m'est difficile. Bien qu'elle me le cache, elle est très fatiguée, et ne pas être à ses côtés me brise le cœur. Je me pends donc, en dernier recours, à mon téléphone.
             -       Qui est-ce que tu appelles, comme ça ?, me demande une collègue sur un ton moqueur, ton nouveau petit copain ?
             -          Mais non, c'est Aurélie...

    Au fil du temps, je remarque que les questions des élèves et de mes collègues se font plus fréquentes : « Comment va Mme T ? », « Est-ce que tu pourrais lui dire que... », « Souhaitez-lui bon courage... ». Un soir, j'explose :
             -          ILS LE SAVENT !

    Aurélie perd son sang-froid :
             -          Pardon ?!
             -          Ils... ils le savent.
             -          Mais comment ?!
             -          Je ne sais pas.

    Je tremble et j'ai du mal à me calmer. Je serre les poings, les desserre, les resserre encore...
             -          Ecoute, mon amour, reprends Aurélie, essaie d'oublier cela, et fais comme si tu ne voyais pas de quoi ils parlent. Tu réponds comme avant.

    Comme toujours, les paroles assurées de ma chérie me calment.

    Dès le lendemain, je me conforme donc au statut de collègue, et ne réponds plus que par hypothèses. Cela me conforte beaucoup, malgré mon désir constant de chanter combien je l'aime et combien elle me comble. Les attentions se détournent, mais je ne faiblis pas.

    Un après-midi, alors que je suis penchée sur mon portable à envoyer de petits mots doux à l'élue de mon cœur, j'entends :
             -          Encore à tchatcher avec ton petit copain ?
             -           Arrête, réponds-je en riant jaune.
             -          Tu sais, il va falloir que tu nous le dises un jour.
             -          Quoi ?

    Sans répondre, elle me fait un clin d'œil et s'en va. Je range mon portable dans ma poche, j'ai envie de pleurer. Alors ça non plus, je n'y ai plus le droit ? Je le sens vibrer contre ma main... mais je résiste contre moi-même. Après tout, il est toujours difficile de se sevrer d'une drogue.
             -          Dis-moi... tu es libre ce soir ? J'aimerais bien qu'on sorte un peu...

    Je sursaute. Je suis prise au piège. Est-ce possible de dire non après cela ? Perdue, je réponds machinalement :
             -          D'accord, parfait.

    Je la regarde partir et me maudit intérieurement. Je sais que j'aurais pu dire non ! L'image de mes deux anges me traverse l'esprit, je m'en veux déjà. Trop tard. Je glisse une main de ma poche pour prévenir Aurélie... mais une force que je ne peux identifier m'en empêche. Je me mords la lèvre et frissonne.

    Trois heures passent, j'angoisse. « Essaie juste de passer un bon moment », me sermonné-je... Sans grande surprise, la soirée tourne bien vite au cauchemar : mon portable vibre au fond de ma poche, mais je ne peux pas répondre. J'ai si mal au cœur ; j'ai envie de partir et de la rejoindre... et si elle avait eu un problème ? Cette idée m'insupporte, je tente de l'oublier. Plus la soirée continue, plus les minutes s'éternisent. Fort heureusement, lorsque je crois mon calvaire au point de me tuer, la soirée prend fin.

    Je saute au volant de ma voiture et me précipite chez moi. Les lumières sont éteintes, mon cœur tambourine. Je me rue à l'intérieur... et vois mon amour, tendrement allongée dans le canapé, endormie. Je me penche doucement et la réveille d'un baiser. Elle m'attire contre elle d'un bras, je me blottis contre sa poitrine.
             -          Où étais-tu ?, me demande-t-elle avec inquiétude.
             -          Je suis désolée, j'ai été invitée.
             -          Pourquoi ne m'as-tu pas prévenue ?!
             -          Je... je ne pouvais pas.
             -          Tu te moques de moi ? Et ton portable ?

    Ca y est : le moment que je redoutais est enfin là. En dix-sept ans de vie commune, c'est ce soir qu'arrive notre première dispute. Je l'entends crier, mon cœur se déchire. Elle s'énerve, pleure, et moi je ne sais que dire ; je reste muette et je sanglote en silence. Que puis-je faire, de toutes manières ?

    Cette nuit-là, nous dormons séparées. Chaudement emmitouflée dans son pull, je finis par m'endormir lorsque mon cerveau décide de ne plus réfléchir.

     • • •

    Les jours passent, et rien ne s'arrange. Plus le temps passe et plus nous nous éloignons. Elle me manque tant que j'ai l'impression qu'à chaque pas que je fais, le monde va s'écrouler. Devant mes collègues, je fais bonne figure cependant. Je souris et je parle fort, comme si rien ne se passait ; chaque nouvelle question à propos de ma princesse me blesse, mais je ne montre rien. Je n'ai même plus de plaisir à rentrer le soir, alors je traîne. Je fuis la mine attristée de mon Aurélie, et les idées que je m'en fais, je les noie dans les rires. Je m'en veux tellement... 

    • • •

    Aujourd'hui, cela fait exactement deux semaines et trois jours que je n'ai pas vu mon fils. Je feins toujours la joie, le rire, le bonheur ; mais la réalité me rattrape doucement. Aujourd'hui, c'est mercredi : mes cours à l'association sportive contribuent à mon moral, ainsi, cet après-midi, oublier ma douleur est plus facile... quand soudain, une élève m'interpelle :
             -          Madame, il y a Mme T qui est là et qui veut vous parler...

    Je sursaute à l'entente de cette annonce. Le souffle coupé, j'avance doucement vers le couloir... et vois le visage de ma princesse. Elle a pleuré. Il y a trois heures, ou peut-être quatre. Elle me regarde avec des yeux tristes et exténués._____-          Alors, tu ne comptes donc rien me dire ?, me demande-t-elle calmement.
             -          Te dire quoi ?, réponds-je en soupirant de désespoir.
             -          Me dire pourquoi tu m'as abandonnée.
             -          Comment ça, « abandonnée » ?!
             -          Tu ne me parles plus. Plus de coups de fil, plus de messages. Que t'ai-je fait ?

    La colère monte, mon sang bouillonne. Toute la pression accumulée depuis ces dernières semaines remonte dans ma gorge. Je serre les poings, mais je ne peux contenir le flot de paroles qui brûle mes lèvres.
             -          C'est plutôt toi qui m'as abandonnée ! Comment peux-tu dire que je ne fais rien pour toi ?! Je n'ai pas vu notre bébé depuis plus de deux semaines, et tout cela juste pour toi !

    Son regard se baisse. Elle ne sait plus que dire.
             -          Tout ça, tout ce que je n'ai pas fait, je l'ai fait pour te sauver, parce que je t'aime de tout mon cœur, de tout mon être, et je sais que tu voulais que rien ne se sache. J'ai tout sacrifié au prix de notre silence ! Alors ne me regarde plus jamais comme si je t'avais laissée tomber, car c'est faux. Ne me regarde plus jamais avec ces yeux.

    Les larmes coulent en torrents sur ses joues.
             -          D'accord, me réponds-t-elle.

    Comme toujours, elle a tenu parole : le lendemain matin, je me suis réveillée seule.

     

    Les années ont passé, mais ma tristesse n'a toujours pas disparu. Elle ne m'a rien laissée, même pas le droit de voir mon fils avant qu'elle parte. Elle a même disparu du lycée. Tout ce que je suis capable de faire, c'est de porter son pull tous les jours et de m'en vouloir terriblement. La nuit, je dors de son côté.

    Un jour, alors que je marche dans la rue, j'entends :
             -          Maman ! Regarde la dame, là-bas, elle a un gros pull moche !

    Je me retourne, mon regard tombe sur un petit brun au nez en trompette, pendu à une main. Je souris timidement et m'accroupis.
             -          Dis donc, il ne te plait pas mon pull ?
             -          Non, il est pas beau !
             -          Il tient chaud ! Et il sent bon !

    Je fourre mon nez dans le col du pull.
             -          C'est ton doudou ?
             -          Oui !
             -          Maman, elle dit que je ne dois pas prendre mon doudou dans la rue.
             -          Elle a raison... tu promets que tu ne diras rien ?
             -          Promis !

    Le petit jette un œil à sa mère.
             -          Maman, tu es triste ?
             -          N... Non. Je suis contente...

    Mon cœur semble s'arrêter. Sans quitter le petit du regard, je me relève... puis lève les yeux. Ma vue se trouble, je ne peux freiner mes larmes. Nous restons immobiles quelques secondes, à nous regarder silencieusement...
             -          Maman, tu la connais la dame ?

    Elle se penche, et prend le petit brun dans ses bras.
             -          Oui, je la connais... et toi aussi.
             -          Non, je la connais pas !
             -          Si, tu l'as vue quand tu étais tout petit. Mais tu ne t'en souviens pas, tu étais bébé !
             -          C'est qui ?

    Nos sanglots redoublent en chœur.
             -          C'est ton autre maman.

    Le petit fronce les sourcils, peu convaincu. Puis, il regarde sa mère et me tend les bras. Je le prends contre moi et le serre fort. Sans dire un mot de plus, nous marchons côte à côte jusqu'au parc. Je pose le petit ange et le regarde courir dans l'herbe. Nous nous asseyons sans le quitter des yeux.
             -          Je le savais, dis-je entre deux sanglots.
             -          Quoi ?
             -          Qu'il te ressemblerait.

    Je me penche et la laisse m'envelopper de ses bras. Je plonge mon nez dans son cou, y déposant quelques baisers. Nous nous serrons davantage, elle passe ses mains sous le gros pull moche. Elle me regarde et m'embrasse passionnément, me murmurant dans un souffle :
             -          Je suis tellement désolée...
             -          Chut...

    Un cri nous éveille, le petit ange nous saute dessus en riant.

    Ma princesse me regarde :
             -          Je t'aime...


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  • Une jeune femme et sa fille marche dans la rue. Elles se dirigent vers une forêt et s'arrêtent dans une clairière. En son centre trône un chêne qui est sûrement présent depuis longtemps tant il est imposant. La mère s’assoit contre l'arbre et prend la petite dans ses bras.

     

    "_Maman, pourquoi tu pleures?

    _ Ce n'est rien ma princesse.

    _ Et maman, pourquoi on est là?

    _ Tu vois cet arbre ma puce? C'est ton papa qui l'a planté, c'était il y a longtemps. Un jour il m'a dit que tant que ce chêne tiendrais debout, notre amour grandirait un peu plus chaque jour.

    _ Alors pourquoi tu es triste? Il a menti?

    _ Papa ne ment jamais ma princesse.

    _ Il revient quand?

    _ Tu te souvient quand je t'ai dit qu'il devait partir? Et que peut être il ne reviendra pas?

    _ Quand il est aller au paradis secret des garçons?

    _ Oui. Et bien il est resté au front.

    _ Ah bon? Il nous aime plus?

    _ Si, bien sûr que si! Mais il à voulu aidé un ami et il s'est perdu.

    _ Alors il faut aller le chercher!

    _ On ne peut pas ma princesse, parce qu'on ne sait pas où il est..."

     

    ♦♦♦

     

    "_ Allye! Tu m'a manqué!

    _ Je suis désolée, j'aurais voulu venir plus tôt mais...

    _ Chut! Ne t'en fais pas je suis simplement heureuse de te voir.

    _ Tu as eu des nouvelles des médecins? Ils n'ont rien voulu me dire.

    _ Je sais, je voulais te l'annoncer moi-même.

    _ Tu me fais peur, qu'y a-t-il?

    _ Il faudra que tu sois forte...

    _ Maman... Je ne veux pas te perdre...

    _ Parce que tu vas devoir me supporter encore quelques années!"

     

    ♦♦♦

     

    Une vieille femme marche dans la rue. Elle se dirige vers une forêt et s'arrête dans une clairière. En son centre trône un chêne présent depuis longtemps. Elle se couche à son pied et ferme les yeux. La maladie a tuée sa fille, son mari a disparu au front. Cet vieille femme n'a plus rien a perdre.

     

    ♦♦♦

     

    "_ Bonjour, je suis mademoiselle Alwood, on m'a dit que ma mère a changer de chambre. Elle était en 208.

    _ Bonjour, alors, mme Alwood qui était en 208, c'est bien ça?

    _ Oui.

    _ Oh. Attendez 2 minute s'il vous plaît."

     

    La secrétaire entre dans une pièce voisine et en reviens avec un médecin.

     

    "_ Mlle Alwood?

    _ Oui?

    _ Je suis le docteur Schefferd.

    _ Oui je vous reconnais, vous êtes celui qui soigne ma mère.

    _ Écoutez, l'état de votre mère s'est aggravé. Elle a été prise d'une forte fièvre dans la nuit et elle est sortie de l’hôpital. Nous la cherchons en ce moment même."
    La violence du choc et la tristesse plongent la jeune fille dans un coma profond.

     

    ♦♦♦


    Un vieil homme marche dans la rue. Il se dirige vers une forêt et s'arrête dans une clairière. En son centre trône un chêne qu'il a planté de ses mains. Il cherche depuis bien trop longtemps celles qu'il aime. Il se couche a son coté et ferme les yeux. Ce vieil homme n'a plus rien à perdre. Une stèle au pied de l'arbre lui a appris tout ce qu'il voulais savoir.

     

    Aux ALWOOD,
    à cette famille déchirée par la guerre, la maladie et la tristesse.
    à cette famille qui a perdu le combat de la vie et du bonheur.
    Que leur souvenir reste à jamais dans nos cœurs, afin que l'on ne puisse oublier la rareté et la pureté de la chance qui nous à été donné d'avoir.

     


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